Faites parler les images #6

     Un morceau de toile bleue maintenue par quatre pierres et dessus, la liste des souvenirs qu’ils rapporteront du Maroc. Théière en aluminium, dromadaire miniature en tissus, narguilé pour non-fumeurs, bracelets de toutes formes plus ou moins argentés, colliers de grosses perles, pendentifs … Une ligne de plus dans l’étagère à souvenirs, ils auront « fait » le Maroc. Ils ramèneront chez eux ce qui s’achète, laisseront ce qui s’échange, ce qui n’a pas de prix. Ils laisseront Houssin à ses babioles, ne garderont de lui que le sourire franc et le regard clair, la barbichette espiègle et le turban ironique sur un selfie où ils prendront eux-mêmes la plus grande place. « Choukrane ». Peut-être iront-ils jusqu’à regretter son habillement, jeans troué, débardeur et baskets, bien trop éloigné de l’idée qu’on leur avait vendue des tenues traditionnelles, pourtant si bien adaptées aux chaleurs infernales de ces latitudes inhumaines.

     Eux, ce sont les « tout-tristes », comme les appelle Houssin, ces touristes qui survolent, les yeux plus souvent dans leur guide bleu, vert, rouge ou bariolé que sur les paysages, les villes, les villages et les gens qu’ils croisent. Pour eux, Houssin fait partie des quarante voleurs, au mieux il est Ali Baba, celui qui vole les voleurs. D’ailleurs c’est écrit dans leur guide : il faut marchander avec les vendeurs de souvenirs.... Et donc, ils marchandent. Ou s’essayent à ce genre de discussion, mais en oubliant qu’il s’agit surtout d’un échange et qu’il faut y mettre les formes, demander des nouvelles, compatir, se réjouir, pleurer, même, en cas de triste nouvelle, avant d’évoquer le bijou ou le dromadaire en skaï qui ferait pourtant si bien dans l’étagère du salon ou au bras de mamie. 

     Pour d’autres résidents du camping qui passent devant son étal de tissus bleu, Houssin est Aladin, ils vont sûrement lui acheter une lampe merveilleuse ou au moins une théière magique qui donnera au thé à la menthe de leur petite ville de banlieue, le goût des montagnes couleur sable et des grands espaces du Sud marocain. Ceux-là viennent acheter du rêve, et pour être sûrs que leur souvenir contiendra bien ce qu’il faut de merveilleux, ils placeront eux-mêmes un baluchon de féerie sur le dos de leur dromadaire miniature en tissus rayé. Ceux-là sourient déjà davantage que les tout-tristes qui forment la majorité de ses clients. Ils ont sûrement un guide dans leur sac à dos, mais ils ne le lisent pas en marchant et ne suivent pas ses conseils à la lettre. 

     Enfin, parfois, Houssin croise des voyageurs. Ceux-là n’ont pas de guide. Ou s’ils en ont un, ils ne se gênent aucunement pour tourner à droite quand le guide dit à gauche, juste parce que c’est plus joli, parce qu’ils seront mieux placés pour le coucher de soleil, parce qu’un petit garçon leur aura fait signe sur le bord de la route, ou simplement pour ne pas suivre le guide et trouver un peu de solitude. Avec les voyageurs, Houssin échange. D’humain à humain, d’égal à égal, pas de visiteur à visiter. Pas sur la météo ni les relations commerciales de son pays avec la Chine autour de sa marchandise, mais plutôt sur la vie, sur l’art et pas seulement l’artisanat, sur les histoires qu’on lui contait quand il était petit et qui l’ont aidé à construire ses valeurs, ses croyances et ses convictions d’homme. Quand ils lui parlent, les voyageurs ne regardent pas leur montre. Ils ont le temps, ou au moins ils le prennent, pour parler avec lui. 

     Pourtant, voyageurs, touristes et même tout-tristes, Houssin les aime tous. Il essaye de donner à chacun quelque chose en plus, une sorte de supplément merveilleux pour emballer le souvenir qu’ils lui ont acheté. Quand, à la fin de journée il a su mettre un peu d’éblouissement dans le regard de ceux qui sont passés devant lui, il considère que c’est une journée réussie et il rentre chez lui heureux, sur son tapis volant bleu.

Juliette Derimay

Faites parler les images #6

Voici le sixième atelier d'écriture animé par Juliette avec une nouvelle image.

Si vous souhaitez relire le principe; rendez-vous ici.

"Une succession de mots, une phrase, un ou plusieurs paragraphes, 2000 signes maximum (soit environ 400 mots), voici l’espace que je vous offre pour vous exprimer ici.

Ma photographie ne comprendra ni lieu ni date, afin de ne pas influencer votre histoire, votre ressenti vis-à-vis de la scène, des couleurs, ou de l’ambiance qu’elle dégage.

Vous pouvez publier de manière tout à fait anonyme en laissant un pseudonyme par exemple. Sachez également que l’adresse email, requise pour envoyer le commentaire, ne sera ni publiée ni diffusée, selon le respect de la loi sur la protection des données (GDPR).

A très vite pour découvrir vos mots.

Céline

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