Godiller …
À la montagne comme en bateau, tout est souvent une histoire de pied. Il existe bien des garde-corps, des garde-fous, des mains courantes, des parapets, des rambardes, des bastingages, des filières et tout un tas d’autres moyens de se rattraper par la main quand le pied a failli, mais c’est à lui qu’on confie le travail de base sans y penser, c’est à lui que revient la mission la plus importante : nous garder en contact avec la Terre, qu’elle soit de pierre ou d’eau. C’est lui qui fait l’interface, lui qui nous dit quand ça penche ou quand ça glisse alors même que le regard, volage, se perd au loin parmi les cimes, les lumières sur la neige, les ailes d’un oiseau, les images renversées sur un miroir d’eau ou les pas du bouquetin.
Le pied, pourquoi le singulier d’ailleurs ? Prenons le problème au pied de la lettre. À cause du pied marin ? À cause du pied sûr des montagnards ? Parce que c’est lui quand on prend son pied ? Pourtant, l’humain a bien deux pieds, symétriques et semblables, qui peuvent se regarder en frères, mieux, en jumeaux. Deux pieds pour comparer la pression sur l’un et la pression sur l’autre. Deux pieds pour l’équilibre. Riche également, la stéréo des pieds, les informations de l’un à compléter par celle de l’autre pour avoir l’impression que la musique du monde nous enveloppe.
Deux pieds, c’est vrai, mais on les utilise rarement tous les deux en même temps et de la même façon. Pour marcher, c’est chacun son tour, un pied devant l’autre. Pieds joints on est immobiles. Immobiles ? Relativement immobiles, immobiles par rapport à un support qui avance : pieds joints pour godiller en ski, quand chacun son tour accueille le poids du corps pour de petits virages serrés qui font une si belle trace, toute en pleins et en déliés sur la neige fraîche. Pieds bien calés et un peu plus écartés pour la godille en mer, un seul aviron à l’arrière du canot, on s’appuie sur un pied, puis sur l’autre pour que la pale puisse pousser sur l’eau sans faire de bruit ni de remous, en silence, la façon la plus élégante de se déplacer dans un port, balancement tout en alternances qui raconte déjà les vagues, le tangage et le roulis bien avant la haute mer.
Souvent, trop mal habitués par le lisse du goudron, on n’écoute pas suffisamment nos pieds, on ne leur fait pas assez confiance. Pourtant, ils savent le chemin de la maison, ils savent l’herbe et les cailloux, ils savent quand ça glisse et quand ça penche, ils savent se poser entre les racines des arbres quand on marche dans la forêt, ils savent le nombre de marches qu’il y a dans l’escalier. Nos pieds savent l’équilibre, ils guident ceux qui voient mal et ceux qui ne voient pas. Mais ceux qui voient leur préfèrent trop souvent les yeux pour connaitre le sentier, ils obligent le regard à une tâche qui ne devrait pas être la sienne, nos yeux qui sont là avant tout pour nous régaler goulument de la beauté du monde.
Juliette Derimay
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Faites parler les images #17
Chers visiteurs,
J'ai le plaisir de vous proposer ces deux nouvelles images pour réveiller votre plume avec comme toujours en introduction un texte de Juliette Derimay que je remercie chaleureusement pour cette "mise en marche".
Nous nous réjouissons de vous lire.
Belle semaine à toutes et à tous,
Céline
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Je rappelle le principe de l'atelier d'écriture pour ceux qui nous découvrent.
"Une succession de mots, une phrase, un ou plusieurs paragraphes, voici l’espace que je vous offre pour vous exprimer ici.
Ma photographie ne comprendra ni lieu ni date, afin de ne pas influencer votre histoire, votre ressenti vis-à-vis de la scène, des couleurs, ou de l’ambiance qu’elle dégage.
Vous pouvez publier de manière tout à fait anonyme en laissant un pseudonyme par exemple. Sachez également que l’adresse email, requise pour envoyer le commentaire/texte, ne sera ni publiée ni diffusée, selon le respect de la loi sur la protection des données (GDPR)."
Si vous souhaitez avoir un aperçu du premier atelier, rendez-vous ici.
A très vite pour découvrir vos textes.
Céline