Faites parler les images # 1

Bonjour à tous,

j’ai le plaisir de vous annoncer la naissance d'une nouvelle rubrique sur mon blog avec à mes côtés Juliette Derimay.

« Faites parler les images », votre atelier d’écriture!

Le principe est simple, je publierai une photographie toutes les 3-4 semaines environ. Juliette introduira l’atelier d’écriture avec son propre texte et sera présente avec moi ensuite pour accueillir les vôtres, qui seront publiés en bas de l’article.

Quelques mots sur Juliette :

J’ai découvert la plume de Juliette il y a plusieurs mois maintenant et son univers de mots m'a tout de suite transporté dans des espaces imaginaires vivants et drôles aussi. L'idée de créer cet atelier est une manière de faire parler les images, mais surtout de montrer à quel point l'interprétation peut être différente pour la personne qui n'était pas sur le terrain avec moi lors de la prise de vue. Juliette anime depuis plusieurs années des ateliers d’écriture dans la région d’Albertville.

Qu’attendons-nous de vous :

Une succession de mots, une phrase, un ou plusieurs paragraphes, 2000 signes maximum (soit environ 400 mots), voici l’espace que je vous offre pour vous exprimer ici.

Ma photographie ne comprendra ni lieu ni date, afin de ne pas influencer votre histoire, votre ressenti vis-à-vis de la scène, des couleurs, ou de l’ambiance qu’elle dégage. Les deux textes ci-dessous de Juliette pourront peut-être vous inspirer, mais ce que nous voulons c’est une autre histoire, la vôtre !

Vous pouvez publier de manière tout à fait anonyme en laissant un pseudonyme par exemple. Sachez également que l’adresse email, requise pour envoyer le commentaire, ne sera ni publiée ni diffusée, selon le respect de la loi sur la protection des données (GDPR).

Gagnez mon livre « Les secrets de la photo de voyage"

À la fin du premier atelier, soit mi-janvier environ, nous rassemblerons les noms des personnes ayant participé. Un tirage au sort aura lieu et j’aurai le plaisir d'offrir à au gagnant (ou à la gagnante), mon livre dédicacé "Les secrets de la photo de voyage".

Pour introduire cette nouvelle section, je vous invite dorénavant à découvrir cette première image et deux propositions d’écriture de Juliette (quelle générosité :)), que je remercie chaleureusement au passage pour cette belle initiative commune.

Cette première édition est un peu spéciale, puisque j'en profite pour partager avec vous d'autres photographies de ce même soir ... à ...

À vos plumes mes amis !

Céline

Tokyo, vie intérieure ?

Pfloutch … les deux pieds dans la flaque ! L’eau qui rentre dans les chaussures, les chaussettes qui collent et les orteils qui pataugent. Les deux pieds pris dans le béton du froid. Zut ! Les chaussures en cuir. Ma mère les aurait fait sécher avec du journal à l’intérieur. Du papier journal… Un journal en papier…

Quand j’étais petit, j’adorais les flaques d’eau. Pour sauter dedans avec le plus d’élan possible, les deux bras levés bien haut. Ça éclaboussait les copains, on aspergeait toute la rue de nos rires. Mais aussi les flaques d’écran pour leur chatouiller la surface, voir l’image des maisons alentours se brouiller puis inlassablement se reconstruire une fois les vaguelettes fatiguées et échouées sur les bords. J’attendais avec impatience le passage d’une voiture, les phares crayonnaient de longues trainées blanches sur le goudron noir et brillant. Comme ce soir. Entre les reflets des immeubles et les couleurs des enseignes. Et aujourd’hui, je les regarde de nouveau pour la première fois depuis des années.

Depuis des années, je n’ai pas dessiné. Et là, le dessin redevient une nécessité. Une urgence. Sous la pluie, les deux pieds dans une flaque, juste au bord du flot des gens qui, comme moi il y a encore quelques secondes n’ont rien d’autre en tête que du matériel : métro, boulot, resto, métro, resto, dodo, boulot. Des rêves ? Pas des rêves d’avoir, ça ils en ont tous, comme moi il y a encore quelques secondes. Mais des rêves d’être. Des rêves d’art. Des rêves pour rien.

Dans ma sacoche noire, un rapport avec des marges blanches, un crayon, une place libre contre la vitre du restaurant d’en face. Pas de temps à perdre, pas d’atermoiement, pas de photo prise au smartphone avec la promesse vague de dessiner une fois rentré chez moi. Là, maintenant. Immeubles, voitures, reflets, parapluies, passants blancs en haut et noir en bas, bruits de pas, conversations, flaques d’eau. Et même ce pauvre arbre scellé dans le bitume. Tout doit finir sur le papier.

Ce soir j’ai besoin de me sentir vivant.

Et sur mon dessin, même si elle n’y est plus, j’ajouterai la dame un peu lente, habillée en jaune moutarde, qui bloquait le passage sur le trottoir et que je voulais doubler quand j’ai mis le pied dans cette flaque. Pour la remercier de ce moment d’humanité qu’elle m’a laissé m’accorder ce soir.

Juliette Derimay

Tokyo, KFC ?

Je m’appelle Harland Sanders et j’ai commencé dans le poulet frit en 1939. Tout a commencé dans le Kentucky, mais maintenant, je suis partout. Même comme ici, à Tokyo. Je vous regarde courir sous la pluie. Le goudron mouillé reflète les lumières, longues trainées des phares de voiture, taches colorées des enseignes comme la mienne, qui fait une marque rouge, une flaque de couleur de plus sur le gris de l’asphalte. Tableau impressionniste changeant qui évolue au grès des silhouettes des passants qui se déplacent sous des cloches de plastique transparentes. Champignons urbains en pantalons foncés et chemises claires. Bien peu s’arrêtent ce soir pour venir manger chez moi. Je vois surtout des jeunes, le midi, quand il s’agit de refaire rapidement le plein d’énergie avant de retourner, le plus vite possible, travailler.

Pantalon, chemise, parfois cravate, une mallette avec de temps en temps quelques papiers et toujours un ordinateur portable. Que ce soit chez moi, en Amérique ou ici, au Japon, ces jeunes se ressemblent tous. Moi, Harland Sanders de KFC, je m’affiche à Tokyo et les écrans Sony illuminent la cinquième avenue à New York. Chacun fait chez l’autre comme chez lui. Aujourd’hui, ça se passe comme ça. Quatre-vingts ans plus tôt, les grands-parents de ces jeunes gens modernes se sont entretués. Uniformes différents, discours différents, leurs chefs avaient décidé qu’ils se battraient. Ils en sont morts. Puis leurs chefs se sont réconciliés. Mais les soldats n’ont pas ressuscité. Maintenant KFC est à Tokyo, Sony est à New-York. Merci, les affaires vont bien.

Et le mot de la fin ? Il est à Georges Brassens qui verse parfois, comme ce soir, une petite pluie de regrets sur les vies trop courtes des soldats de la trop grande guerre, quand leurs enfants s’entendent si bien.

« Au lieu de mettre en joue quelque vague ennemi, mieux vaut attendre un peu qu’on le change en ami. »

Juliette Derimay

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